L’expérience des regrets
Que sont ces regrets ? Occasions ratées, erreurs de jugement ou inhibitions inexplicables… Qui peut prétendre ne rien regretter dans sa vie. En psychologie, le regret est défini comme un sentiment associant des émotions comme la tristesse, la colère, la honte et l’envie de revenir sur le passé.
Il existe des regrets chauds, survenant sur le champ, et des regrets froids, arrivant plus tard. Les premiers, les regrets chauds, concernent des choses que l’on a faites et qui ont échoué ; ce sont des regrets d’action. Pour les éviter, il suffit de ne rien faire : pas de décision, pas d’action et donc pas de punition par les regrets chauds ; mais ce n’est pas un bon calcul car lorsqu’on conduit des études pour évaluer ce que l’on regrete le plus, non pas sur les regrets chauds, mais sur la durée de toute une vie, on s’aperçoit que les plus grands regrets, les plus douloureux, les plus durables proviennent de ce que l’on n’a pas fait : ce sont les regrets de non action : « j’aurais dû pousser plus loin mes études, j’aurais dû consacrer plus de temps à mes enfants, j’aurais dû parler davantage avec mon père, avant qu’il ne meure ». C’est ce que pressentait Gide, dans son journal, ce n’est ce que l’on a fait que l’on regrette, mais bien bien ce que l’on a pas fait, que l’on aurait pu faire et le regret prend la couleur sombre du repentir.
Rançon de l’action, les regrets sont inévitables dans toute vie humaine ; en existerait-il un bon usage ? Sans doute. Et cela passe par le fait de tordre le cou au mythe du « bon choix » qui consiste à se dire, quand j’ai une décision à prendre, qu’il y a forcément un bon et un mauvais choix. Je ne dois pas me tromper…
En fait la plupart du temps, si j’hésite, c’est qu’il n’y a pas de bons ou de mauvais choix, mais juste des options différentes présentant chacune avantages et inconvénients. Quand un choix s’avère délicat, prenons simplement le temps de réfléchir, c’est à dire d’écouter notre cerveau ; le temps de ressentir c’est-à-dire d’écouter notre corps ; le temps de prendre des avis extérieurs, c’est-à-dire d’écouter les autres. Puis laissons reposer et prenons notre décision une fois pour toute, en décidant aussi de ne rien regretter ensuite car vivre, c’est survivre à la somme de toutes ses erreurs, et c’est le faire joyeusement.
Les erreurs sont inévitables et parfois fécondes ; les regrets, en revanche, sont toujours stériles et nous font souvent bien plus de mal que les erreurs commises. Et puis comme l’écrivait La Bruyère, « le regret qu’ont les hommes du mauvais choix qu’ils ont vécu ne les conduit pas toujours à faire de celui qui leur reste un meilleur usage. C’est le seul enseignement et le seul secret : que nos regrets nous aident à nous tourner vers le futur et non vers le passé.
Texte de Christophe André. Chronique de France Culture