La dangereuse liberté de la presse
Avez-vous déjà observé combien la diffusion et la présentation large et répétée d’une information dirigent rapidement vers une « pensée commune » ? Ce phénomène est bien apparent dans les états dictatoriaux, où le contrôle de la presse par l’Etat facilite évidemment la censure et la propagande… Qu’en est-il dans nos démocraties ? Nous proclamons la chance et la fierté de notre liberté de la presse, mais le phénomène de matraquage et d’orientation porte in fine vers les effets similaires de la pensée commune, d’autant que certains excès peuvent également être considérés comme des détournements d’information. Notre presse démocratique ne serait-elle pas si libre ?
Quels sont les stratégies de la censure et de la propagande ?
La censure demeure malheureusement encore très présente dans de nombreux pays. Les alertes annuelles de Reporters sans frontière sont claires sur ce point. Depuis le XVIIème siècle, la censure est combattue, notamment en Europe, face aux pouvoirs impétueux. Que cherchent ces pouvoirs en place ?
- Contrôler et guider les media et les informations diffusées, afin que celles-ci ne leur soient pas défavorables – on est dans la censure.
- Orienter et pousser la diffusion d’informations gratifiantes, qu’elles soient fausses ou déformées, afin de conforter une image éclatante et puissante – on est alors dans la propagande, très souvent reliée à la censure.
En ce sens, les effets de censure et propagande en Corée du Nord contribuent à effacer l’imbroglio diplomatique international en cultivant la puissance de son dirigeant… dictateur ; la population peut être fière, soit parce qu’elle n’a pas d’autre choix, soit parce qu’elle devient progressivement inconsciente de sa réalité. Clairement, brider la liberté de la presse s’entend par la privation de son autonomie.
L’impossibilité de dire le contraire
Ainsi, les media ont-ils une grande force. Ce n’est pas pour rien que l’on parle du « Quatrième pouvoir ». Cette puissance vient du fait qu’ils ont la main pour donner une information à un très grand nombre d’individus. Sans liberté de la presse, l’information est déformée ; avec la liberté de la presse, l’information est orientée par des opinions (pour notre pays, on sait que Libération aura une vue plus socialiste, l’Humanité cultivera la perception communiste et le Figaro s’affirmera plus à droite).
Ainsi, le public reçoit plus souvent une opinion plutôt qu’une information. Et le principe de la large diffusion laisse à penser que l’opinion est juste, précisément parce qu’on nous laisse imaginer qu’elle est partagée par tous. De ce fait, il devient difficile pour l’individu d’affirmer une pensée différente, même si elle est construite sur une pensée critique, parce qu’elle serait contraire à l’opinion globale. Pire, nous préférons parfois ne plus nous exprimer face à une opinion générale, parce que nous sommes intimidés par l’idée de penser différemment… et peut-être de penser mal ! Et c’est là, par le silence, que s’étouffent la pensée critique au profit de la pensée médiatique.
L’information orientée ?
Lorsque des faits sont présentés dans une approche incomplète, partielle ou différente du contexte réel, on peut déjà considérer que l’information est détournée. L’exemple le plus frappant se concentre de plus en plus souvent autour de la violation de la présomption d’innocence dès lors qu’une personnalité a affaire avec la justice, l’objectif principal demeurant d’être le premier à lancer le buzz. Comme par hasard, ces informations tombent toujours au pire moment pour les intéressés. Et après la déflagration et quelques vagues sur lesquelles surfer, l’information est délaissée, oubliée, abandonnée et n’apporte pas (ou si peu) de conclusions… Ainsi, l’objectif initial n’était pas de faire de l’information, mais de nous occuper, de nous orienter…. C’est grave. Cette mode se répand également sur le web où les informations ne sont pas toujours vérifiées ; les textes et photos sont facilement détournés là encore pour faire mouche dans les réseaux sociaux à partir desquels les média eux-mêmes créent de l’information avant de dénoncer rapidement les « fake » (rumeurs, fausses infos) ! Clairement l’information se construit de plus en plus sur du temps court qui ne laisse plus la place à une analyse critique et circonstanciée.
Il devient alors facile d’introduire d’autres informations orientées, notamment dans les domaines économiques, sociaux et bien sûr politiques. Le pire, c’est que les supercheries découvertes font de moins en moins l’objet d’excuses et sont alors écartées par de nouvelles informations séduisantes ou mieux, noyées dans l’oubli.
La presse est-elle encore objective ?
Les média se sont construits sur cette image d’objectivité et d’impartialité. Il s’agit même logiquement d’une marque de professionnalisme, puisque l’enjeu est de ne laisser paraître aucun sentiment, aucune opinion pour demeurer dans un factuel complet. L’impartialité garantit logiquement l’objectivité, l’honnêteté et l’efficacité. Malheureusement, les journalistes reconnaissent eux-mêmes que cette philosophie de l’objectivité n’est plus réaliste. Effectuer un choix éditorial, c’est déjà prendre parti. Consacrer un temps très long à une information circonstancielle au détriment d’un dossier plus profond est une focalisation détournante. Intégrer des chaines de télévision et des journaux dans des groupes à intérêts financiers ne peut garantir une vraie liberté d’expression. Cultiver la course aux scoops conduit inexorablement au populisme plutôt qu’à la raison, à la superficialité plutôt qu’à l’objectivité.
8 clés pour ne pas être manipulé
L’information ne peut plus être objective, nous le savons. A chacun d’entretenir sa pensée critique pour demeurer autonome dans son opinion. Mais alors, comment écarter la duperie ?
- Entretenir la volonté de ne pas se laisser abuser, vérifier les sources.
- Etre vigilant à suivre et comprendre une information jusqu’au bout, dans ses conclusions, même quand les media n’en parlent plus (c’est signe soit d’une erreur qu’ils n’assument pas, soit d’une opinion qu’ils ne partagent pas ou encore d’une information qui ne servira pas leur buzz).
- S’habituer à la lecture de plusieurs sources d’information et d’opinions.
- Proposer l’analyse et la discussion entre pairs et proches.
- Vivre pleinement la curiosité à discuter et à comprendre objectivement et inconditionnellement le fondement d’une opinion divergente.
- Oser se positionner par un avis « non conforme à la pensée globale« , face nos divergences d’opinion.
- Ne regarder le journal télévisé que deux ou trois fois par semaine afin d’éviter le conditionnement et faciliter la prise de recul. Il parait également pertinent d’arrêter ce genre de journal dès lors que l’on ressent son délayage.
- Ne pas se laisser berner par la compassion moralisante, surtout quand elle est si éphémère.